L’islam, religion universelle
L’islam n’est donc ni la religion d’un peuple, comme le judaïsme, ni celle d’un homme, comme le christianisme, ni celle d’une région du globe, comme l’hindouisme. Il n’est pas non plus la religion des Arabes, bien qu’il ait été révélé en leur langue. Dès les premiers siècles, il a dépassé les frontières ethniques et culturelles pour devenir la foi de peuples d’origines très diverses.
L’islam est avant tout un état d’esprit et une attitude de soumission à Dieu, une disposition intérieure par laquelle hommes et femmes se remettent à la volonté de leur Seigneur. C’est cette posture spirituelle qui fonde son universalité.
Goethe écrivait très justement :
« C’est folie que chacun pour son cas fasse valoir son opinion personnelle ! Si l’islam veut dire : soumis à Dieu, nous vivons et mourrons tous en islam. 1»
Ces vers illustrent la portée universelle de l’islam, compris non comme l’appartenance à une culture, mais comme la reconnaissance du divin. Dans son West-östlicher Divan, 2 Goethe voyait dans l’islam l’expression d’une raison universelle et d’une harmonie avec l’ordre voulu par Dieu.
Thomas Carlyle, dans Les Héros et le culte des héros, affirmait lui aussi que le message de l’islam est universel : l’homme doit se soumettre à Dieu, telle est l’essence du véritable monothéisme. Il voyait dans le Prophète Muhammad ﷺ un homme sincère et inspiré, porteur de la foi dans sa forme la plus pure. 3
Autrement dit, contrairement à l’islam, qui est resté fidèle à son essence première, la soumission à Dieu, le christianisme, au fil de son évolution historique et théologique, s’en est partiellement éloigné en introduisant la médiation ecclésiastique et la divinisation du Christ.
L’islam est ainsi, avec le christianisme, la seule religion qui touche tous les continents et toutes les races. Mais contrairement au christianisme, il n’a jamais exigé de conversion culturelle, chaque peuple a pu conserver sa langue, sa culture et ses traditions, tout en partageant une même foi.
Dans les régions christianisées, l’adoption de la foi s’est souvent accompagnée d’une transformation culturelle profonde. 4 Dès l’Antiquité tardive, la conversion à la nouvelle religion impliquait fréquemment l’abandon des langues locales au profit du latin ou du grec, devenus langues de culte et de savoir. 5 Les structures ecclésiales ont reproduit celles de l’Empire romain, avec leurs diocèses et leurs hiérarchies, tandis que la diversité des rites fut progressivement réduite au profit d’un modèle unifié, centré sur Rome et Constantinople.
Au fil des siècles, cette tendance à l’uniformisation s’est accentuée, les rites gallican, mozarabe ou ambrosien ont été marginalisés, et la liturgie latine s’est imposée comme norme quasi universelle. Plus tard, à l’époque moderne et coloniale, la diffusion du christianisme hors d’Europe s’est accompagnée d’une occidentalisation des peuples évangélisés, 6 adoption de prénoms européens, des langues coloniales, et parfois même du mode de vie et de la sensibilité artistique occidentale.
L’islam, au contraire, s’est distingué par une capacité d’intégration remarquable. Les peuples qui l’ont embrassé, Perses, Turcs, Berbères, Africains, Indiens ou Malais, ont gardé leurs langues, leurs vêtements, leurs musiques et leurs formes d’expression propres, tout en les réinterprétant à la lumière du monothéisme. Cette faculté d’assimilation sans effacement est l’un des traits majeurs de la civilisation islamique.
Ainsi, on trouve des mosquées persanes, ottomanes, soudanaises ou javanaises, toutes différentes dans la forme, mais unies dans la direction de la qibla et la récitation du même Coran.
Comme le dit le Coran :
« Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour les mondes » (21 : 107).
Cette parole résume l’esprit de l’universalité islamique, elle embrasse l’humanité entière, sans distinction d’origine, de couleur ni de nation.
Cette universalité se vérifie encore aujourd’hui dans la répartition démographique du monde musulman. Selon les données du Pew Research Center 7 :
Environ 59 % des musulmans vivent dans la région Asie-Pacifique, englobant l’Indonésie, le Pakistan, l’Inde, le Bangladesh, la Malaisie et d’autres nations.
Près de 18 % résident en Afrique subsaharienne, où l’islam connaît une croissance rapide. Le reste se partage entre le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (20 %), l’Europe (environ 2%), et les Amériques (moins de 1 %). 8
Autrement dit, la majorité des musulmans d’aujourd’hui ne sont ni Arabes ni originaires du Moyen-Orient, mais Asiatiques et Africains. Cela confirme la vocation universelle d’une religion qui transcende les frontières ethniques et linguistiques, sans effacer la richesse des cultures humaines.
L’historien français Henry de Castries reconnaissait déjà cette réalité au début du XXᵉ siècle:
« Le mahométisme est certainement une religion universelle, “internationale”, puisqu’il est aujourd’hui celle de races très différentes : Sémites, Aryens, Tartares, Malais, Africains. 9»
(Le vocabulaire de cette époque reflète les catégories raciales alors en usage, aujourd’hui dépassées, mais le fond de son observation demeure, l’islam transcende toutes les appartenances humaines.)
Sources:
1 Johann Wolfgang von Goethe, Divan occidental-oriental, trad. Henri Lichtenberger, Paris, Aubier, 1930, p. 163.
2 Ibid
3 Thomas Carlyle, On Heroes and Hero Worship and the Heroic in History, trad. de l’anglais, Paris, Hachette, 1925.
4 Neil McLynn, “Christianization and Latinization in the Late Roman West”, dans The Oxford Handbook of Late Antiquity, Oxford University Press, 2012.
5 Christine Mohrmann, « How Latin Came to Be the Language of Early Christendom », Vigiliae Christianae, vol. 7, no 4, 1953, p. 193-208.
6 Nimi Wariboko, The Split God: Pentecostalism and the Work of the Holy Spirit, State University of New York Press, 2018, chap. 2 (“Colonialism and Personhood”).
7 Pew Research Center, “Muslim Population Change, 2020–2025”, Religion & Public Life, 9 juin 2025. En ligne : https://www.pewresearch.org/religion/2025/06/09/muslim-population-change
8 Pew Research Center, The Future of the Global Muslim Population: Projections for 2010–2030, Washington D.C., janvier 2011, p. 7-10.
En ligne : https://www.pewresearch.org/religion/2011/01/27/the-future-of-the-global-muslim-population
9 Édouard Montet, L’Islam : origines, foi et institutions, Paris, Armand Colin, 1906.